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Et voici comment le pire maillot de l’histoire vit le jour…

Alexis Lalas saute de joie, mais ça n'a rien à voir avec son maillot
Alexi Lalas saute de joie, le match est fini et il va pouvoir refourguer son maillot

Au printemps 1994, les joueurs de l’équipe de nationale américaine sont appelés à se rendre à ce qui doit être un évènement bon enfant organisé par Adidas. En effet, leur équipementier allemand les tease depuis pas mal de temps sur le maillot qu’ils porteront pour le Mondial 1994 organisé aux Etats-Unis pour la première fois. Les joueurs américains veulent faire bonne figure en débarquant sur les pelouses avec une tenue digne de ce nom. Cet espoir meurt dès les premières secondes de la présentation.

L’uniforme semble avoir été dessiné par un teenager ayant fait ses gammes sur Microsoft Paint. Le maillot est de couleur jean denim (l’OM n’a rien inventé), avec des étoiles blanches étirées irrégulièrement en guise de motif, tandis que la marque et le logo de la fédération sont de couleur rouge vif comme si le designer avait voulu rattraper le coup après avoir vu le drapeau américain.

Dans les années 1990, le soccer entre dans une nouvelle ère. Les Yankees s’étaient déjà qualifiés pour la Coupe du Monde 1990 en Italie même s’ils s’étaient fait balayer en perdant leur trois matches de groupe. En 1994, une poignée de joueurs évoluent de l’autre côté de l’Atlantique, et la saison inaugurale de MLS commencera dans deux ans. En tant qu’hôte de l’évènement le plus suivi en Europe, la fédération de football sait que tous les projecteurs seront braqués sur le pays, alors ils ne faut pas décevoir. Il faut marquer le coup. L’idée alors, d’après Hank Steinbrecher, ancien directeur exécutif de l’U.S Soccer Federation, est de marquer le coup.

Roy Wegerle est ravi de poser avec son maillot
Roy Wegerle est ravi de poser avec son maillot

Après que le maillot eut été dévoilé lors d’un l’évènement fermé au public et aux journalistes, les joueurs ne pipent pas mot. « Le plus gros silence jamais entendu au sein d’une bande de copains » se rappelle Eric Wynalda. Ensuite, les rires éclatent. Le défenseur Paul Caligiuri a de suite pensé à l’accoutrement d’un clown. Même Alexi Lalas, joueur déconcertant par son talent mais surtout par son style, le détestait. C’est pour dire. En fait, lui pensait qu’il était au centre d’un grand canular. « On essayait de trouver où étaient cachées les caméras ».

 » désormais une cible parfaite pour devenir la risée de la compétition »

Lalas, qui est maintenant consultant sur Fox Sports, a avoué qu’il y avait une pression immense sur l’équipe nationale en 1994.  Hors de question de faire honte à son pays, qui plus est, est l’hôte de la plus grande compétition au monde et surtout, pas question de freiner l’engouement que la fédération essaye de faire naître tant bien que mal autour du soccer. L’objectif annoncé au sein du vestiaire est de faire bonne figure en bien jouant. Pourtant ces maillots font maintenant d’eux une cible parfaite pour devenir la risée de l’évènement sportif. Désormais, il ne suffit plus de bien jouer, mais il faut gagner pour faire oublier cette tenue grotesque. En cas d’échec, l’humiliation sera double.

Habiller une équipe nationale comme des patriotes junkies psychédéliques semblaient être un risque. Pourtant, il était calculé. « Dans mon monde, s’il y a une grosse réaction, c’est positif » argumente Peter Moore, directeur créatif d’Adidas et directeur de la marque aux trois bandes aux USA à l’époque des faits. Si les gens sont en colère, cela prouve qu’ils ne s’en foutent pas. »

Peter Moore n'était pas à son premier coup marketing. Il avait déjà dessiné les AJ1 de Michael Jordan, illégales à l'époque.
Peter Moore n’était pas à son premier coup marketing. Il avait déjà dessiné les AJ1 de Michael Jordan, illégales à l’époque.

Moore le savait par expérience. C’est lui qui avait dessiné la légendaire et controversée chaussure Air Jordan 1 dans les années 80 pour Nike. Elle fut conçue pour se démarquer des autres chaussures de basket présentes sur les parquets. Chaque fois que Michael Jordan posait pied sur le parquet en portant la AJ1 ‘Bred’ (noir et rouge), Nike devait payer 5000$ d’amende pour non-conformité avec le règlement de la NBA qui imposait des baskets blanches aux joueurs. Ce coup marketing mené de main de maitre par Nike, qui rapporta plus de 100 millions de dollars, permit de lancer une campagne publicitaire expliquant au public que la Air Jordan 1 est tellement puissante qu’elle est illégale.

Quelques années plus tard, Nike sponsorisa le jeune écorché vif Andre Agassi et l’habilla avec un short en jean en pensant lancer une mode comme il l’avait fait avec les Air Jordan. Mais cette fois, l’effet ne prend pas. Adidas retient cependant l’audace de son concurrent mais ne dit rien jusqu’en 1994.

Le principal problème pour Adidas était que les joueurs ne pouvaient porter une telle matière 90 minutes durant. L’équipementier a alors l’idée de donner l’impression du jean tout en gardant la matière standard. Moore dit que les designers ont ensuite délibérément déformé les étoiles au moment de les poser sur la machine Xeros, chargée de scanner pour ensuite reproduire les imprimés.

Mary McGoldrick, qui a pris la succession de Moore se souvient des réactions de ses collègues allemands très conservateurs quand ils ont découvert le produit final. « Hum, c’est pas Adidas ça, ce n’est pas nous! ». Cette année là, la marque allemande habillait plusieurs équipes avec déjà des maillots plutôt osés (l’Allemagne avec un motif en damier ou le Nigeria avec un imprimé intriguant) mais celui des Etats-Unis provoquaient un certain malaise en interne.

Le seul argument valable pour la défense de ce maillot? « Cela aurait pu être pire » ! Dans une interview datant de 2011, un ancien designer d’Adidas a révélé que la marque avait pensé à habiller les joueurs américains avec des maillots tie-dye. Ce procédé qui consiste à plonger un linge dans un bain de couleur avait déjà servi pour l’équipe de Basket de Lituanie, alors il fallait trouver quelque chose d’autre.

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L’équipe de Basket de la Lituanie a évité les maillots « tie-dye » à l’équipe de football américaine

Alors que le début de la Coupe du Monde approche, les joueurs préfèrent en rire. Même le milieu John Harkes qui avait été élu plus beau joueur du pays par le magazine People ne parvient pas à « rendre potable » ce maillot, dira son coéquiper Tab Ramos. Quant à Alexi Lalas, il ressemble à Raggedy Ann, cette poupée de chiffons rendus célèbre dans les livres pour enfants. Toute blague était bonne à faire et cela masquait une certaine assurance que les joueurs américains avaient gagné au fil des matches de préparation grâce à notamment une victoire 1-0 face au Mexique (avec le maillot « away » où seul le short est en « jean »). Cette Coupe du Monde était finalement leur première danse, et comme dans tout bal de promo, il ne faut pas trop se faire remarquer.

Raggedy Ann, le sosie d'Alexis Lalas
Raggedy Ann, le sosie d’Alexis Lalas

Pourtant, se faire remarquer, ils vont le faire. Les Américains portent ce maillot devenu célèbre lors des trois premiers matches de poule. Lors du premier, ils tiennent en échec la Suisse (1-1). Ensuite, grâce à un but contre son camp d’Escobar devenu tragiquement légendaire, ils s’imposent 2-1 face à la Colombie. Paul Caligiuri, milieu défensif de l’équipe:  » Après ce match, nos maillots sont devenus cool. Ah ce n’était peut être pas le maillot néerlandais avec son orange décapant ou le maillot argentin avec ses bandes blanches mais ces étoiles blanches sur fond de jean faisaient son effet. Lalas: « Vous pouvez porter du cuir avec des pompons, si vous jouez bien, ça devient tout de suite cool ». Malgré une défaite face à la Roumanie dans le dernier match de groupe, les Etats-Unis sont repêchés mais perdent face au futur vainqueur de la compétition, le Brésil. Le parcours improbable des Yankees prend fin et le jour suivant, The San Francisco Chronicle rapporte qu’Adidas a vendu au moins 60 000 maillots jean denim (à 60$ l’unité).

Quand les américains battent la Colombie, le maillot étaient un peu mieux

Pour la fédération, tous les voyants sont au vert. Cette Coupe du Monde est celle de tous les records en terme de fréquentation. Et les résultats sportifs sont satisfaisants. « Nous voulions attirer l’attention, et ces uniformes originaux nous l’ont permis. Les joueurs ont fait le reste ». Ces derniers surfent alors sur cette vague denim comme Caligiuri qui joue les acteurs dans une publicité pour shampoing le tout orné du fameux maillot.

http://www.youtube.com/watch?v=dkRKzA3Pc_c (à 6min 47)

Depuis deux décennies, l’USMNT s’est bâtie une réputation d’équipe courageuse qui n’a cessé de progresser. Elle est apparue à chaque Coupe du Monde depuis 1990. Ses meilleurs joueurs ont fait des carrières honnêtes à l’étranger. Son coach Jurgen Klinsmann a récemment prolongé son contrat qui le lie avec la fédération américaine qui le paye 3 millions de dollars par an.

Les designers américains qui travaillent avec Nike, eux, se sont récemment assagi en essayant justement de rentrer dans le rang pour essayer de se faire une place parmi les équipes nationales puissantes, malgré quelques exceptions (dont le maillot extérieur pour la prochaine Coupe du Monde au Brésil qui ressemble étrangement à la Bomb pop, cette glace traditionnelle américaine). Depuis 1995, Nike a tenté quelques « coups » mais rien d’aussi créatif que la couleur jean denim n’a vu le jour. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir les « maillot les plus laids » de l’histoire dans les tribunes lorsque les USA jouent. Ouvrez bien l’œil cet été.

Voici les maillots pour la Coupe du Monde 2014.

USA+2014+World+Cup+Home+Kit+2

USA+2014+World+Cup+Away+Kit+(1)

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